Warren me refile ses deux cent dollars du bout des doigts, en fixant la terre sous mes ongles, comme si c'était pas son fric à lui qui puait la mort. « J'peux rester deux minutes pour m'en rouler un ? J'ai encore un peu de temps devant moi avant que le patron... » J'balaye la justification inutile d'un geste, en lui montrant le salon de jardin, même si ça me fait un peu chier qu'il pose son gros cul sur la chaise impeccable. Elle est verte, d'un beau vert clair pas facile à trouver en magasin, et ce connard va la dégueulasser avec son faux jean Levi's. Sans parler de la table, sur laquelle il commence à étaler toutes ses merdes : un briquet avec une moto en relief, des feuilles qu'ont trainé je-ne-sais-où, son portable qui vérifie la théorie du clavier plus crade qu'une lunette de chiottes... La weed sauve un peu les meubles. Mais ce porc va en mettre partout, c'est évident. J'préfère me retourner, j'veux pas voir le massacre.

« Qu'est-ce que tu fous ? » qu'il demande vaguement alors que je reprends ma place initiale, à genoux près du carré de terre. « Je plante des fleurs. » La chaise racle contre le sol, je réprime un gémissement. « Le genre de fleurs qui te font voir des meufs à poil chevaucher des orques pendant quatre putains d'heures c'est ça ? » Et le type se marre, pas peu fier de sa vanne. Je peux pas expliquer à ce trou du cul que la Dipladénia Rio est un putain de miracle, un rouge à te faire péter la rétine, zéro parfum racoleur, une plante qui tourne presque exclusivement aux fix de soleil... Une plante qu'elle aurait adoré regarder pendant des heures. « Nan, juste des fleurs. »  « Ah. Ah ouais. » Il allume l'horreur qui lui sert de joint. Cinq petites minutes et je serai seul. « Mon pote, je sais que j'ai pas à me mêler mais... » Ouais, ça sent la conversation moisie. « Tes passe-temps de gonzesse, là... Pour ce qui est de la weed, j'ai rien à dire, c'est le business, mais... Le jardinage, les fleurs et les trucs bizarres là... Même ma mère s'en carre l'oignon de toutes ces conneries ! » Parce que ta mère est une truie informe qui a passé la moitié de sa vie à se faire tringler dans un canapé en simili-cuir défoncé et l'autre moitié à mater le télé-shopping sur le câble dans ce même canapé. Je réponds pas. Warren va finir par se lasser ou bien ses neurones déficients vont le lâcher encore une fois et il va ressentir l'irrépressible besoin de se tirer pour aller parler base-ball avec ses copains les consanguins. « Pourquoi est-ce que tu perds ton temps ? La beuh c'est pour la récré, hein. Je pourrai te brancher sur des trucs plus intéressants, qu'est-ce t'en dis ? Des trucs qui impliquent pas de se casser le cul avec des lampes et de la verdure. » Ces trucs en question ont tué Emy, y'a deux ans, sept mois et trois jours. Je compte pas les heures, ça a tendance à me coller la gerbe. Ca, Warren le sait pas, parce qu'on n'est pas assez intimes. Aussi parce que, comme quatre-vingt-dix neuf pour cent de la population de Clifton, Warren est dépourvu de toute forme de sensibilité. « Je vais y réfléchir. » que je promets.